Je ne sais pas mon gars… je ne sais pas…

Dernièrement, le hockey a été témoin de quelques scènes malheureuses. En suisse par exemple, à l’écriture de ces lignes, on annonce que le joueur Ronny Keller, victime d’une violente charge de la part d’un adversaire, demeurera paraplégique pour le reste de sa vie. 

Quelques jours auparavant, Patrick Kaleta des Sabres de Buffalo donna la même médecine à Brad Richards qui heureusement pour lui, a réussi à se relever mais les conséquences auraient pu être désastreuses. Le verdict : 5 matchs de suspension… qui à mon avis, est complétement ridicule.

Ou l’histoire de ce père de la région de Winnipeg qui fut suspendu par son association locale après avoir applaudi une mise en échec illégale et en dénigrant la victime toujours allongée au sol. http://www.ottawasun.com/2013/02/14/mad-hockey-dad-from-viral-video-might-be-punished

En visionnant les vidéos de ces événements, des souvenirs douloureux sont venus me hanter. En effet, le jour de mes 18 ans le 31 mars 1993, lors du dernier match de la finale des séries éliminatoires, j’ai moi-même été victime d'une vicieuse mise en échec par l’arrière. Je n’ai jamais vue venir le coup et eu le temps de me préparer. J’étais à pleine vitesse et le double échec était d’une telle violence, que j’ai perdu pied et frappé la bande tête première. J’ai perdu connaissance quelques secondes.

Lorsque j’ai repris conscience, j’étais allongé au sol, le soigneur à mes côtés qui tentait de me réconforter. On pouvait entendre une mouche volée. Et soudain, la panique s’installa en moi.

Denis, je ne sens plus mes jambes… je ne sens plus mes jambes, fait quelques choses !!!

Tout ce que je voulais, c'était qu’il me lève … mais il a rapidement constaté que le corps ne suivait pas. Il a demandé l'aide du 911. Mes parents étaient en République Dominicaine et c’est ma blonde et ses parents qui étaient à mes côtés. Je n’étais qu’à quelques minutes de célébrer la fin de ma carrière au hockey mineur… c’est plutôt vers l’hôpital que j’ai dû me diriger.

Dans l’ambulance, je tentais encore de reprendre mes esprits.

Monsieur, je ne sens plus mes jambes, suis-je paralysé?

Et la réponse de l'ambulancier, je ne l'oublierai pas de sitôt

Je ne sais pas mon gars… je ne sais pas…

C’est là que j’ai compris tout l’impact de ce qui se produisait. Les larmes se mirent à couler le long de mes joues… Le sentiment de peur qui s’est emparé de moi à ce moment est indescriptible. Encore aujourd’hui, j’ai des frissons lorsque j’y pense. J’étais convaincu que ma vie était terminée. Qu’est-ce que j’étais pour faire? Comment est-ce que je vais dire cela à ma mère? Continuer à jouer au hockey était le dernier de mes soucis. Tout ce que je voulais c’était d’être en mesure de me tenir debout une dernière fois.

Après multiples tests pour vérifier mon état, j’ai commencé à ressentir du picotement dans mes orteils. Le médecin dit « ça c’est une bonne nouvelle! ». J’avais le sourir fendu jusqu’aux oreilles. À peine quelques heures après, la sensation était de retour à 100%. En ce qui me concerne, je considère encore cela aujourd’hui comme un miracle.

Heureusement, je m’en suis tiré avec une sérieuse entorse lombaire, une épaule disloquée et une commotion cérébrale. J'ai eu des symptômes pendant quelques années par la suite. Je dis heureusement puisque les conséquences auraient pu être pires. Bien que je ne crois pas que j’aurais fait une carrière au hockey, j’ai mis un terme à celle-ci sans hésitez une seule seconde.

Ça m’a pris 13 ans avant de chausser à nouveau les patins en tant que joueur et n’eut été de l’encouragement d’un de mes bons amis, je crois que je n’aurais jamais joué au hockey de nouveau. Je lui en serai toujours reconnaissant.

L’année qui a suivi mon accident, un des entraîneurs de l’association dans laquelle j’étais membre, m’a demandé si je pouvais faire des séances de sensibilisation à la mise en échec par l’arrière à ses joueurs. Ce que j’ai fait et avec beaucoup d’émotions. Je pouvais voir l’impact que mon discours avait sur les joueurs. Si mon expérience a pu sensibiliser quelques jeunes à ce moment, alors tant mieux.

Force est d’admettre par contre, 20 ans plus tard, le travail de sensibilisation doit continuer. Lorsque je vois une scène comme celle où le joueur de la ligue suisse a été impliqué… j’en ai des frissons puisque je me vois dans cette expérience.

Lorsque je vois un geste vicieux comme celui de Kaleta envers Brad Richards, je me dis que ce genre de joueur ne devrait plus jamais jouer au hockey. Parce qu’au-delà de mettre un terme à la carrière du joueur, tu peux sérieusement le blesser et les conséquences peuvent même coûter là vie !

De grâce, si tu vois que ton adversaire est dans une position vulnérable… sois intelligent ! Si tu vois son numéro et qu’il est à 2 pieds de la bande… sois intelligent ! Une mise en échec est faite pour neutraliser un adversaire dans le but de récupérer la rondelle et non de le propulser tête première dans la bande et le paralyser à vie.

Je comprends que certains joueurs se placent eux-mêmes dans des situations vulnérables. Que le hockey est un sport rapide et à l’occasion le joueur n’a qu’une seconde pour prendre une décision. Que certains gestes sont non intentionnels et accidentels. Je comprends très bien.

Je comprends aussi qu'une bonne mise en échec qui est faite légalement fait partie du jeu et ajoute un élément de robustesse aux parties. Ça rend le hockey excitant. Il n'a rien de mal à vouloir appliquer une mise en échec en autant que celle-ci soit faite dans les règles de l'art et avec l'intention de soutirer la rondelle.

C’est la raison pour laquelle je crois que nous devons sensibiliser davantage les entraîneurs, les joueurs (celui qui reçoit la mise en échec et celui qui la donne), ainsi que les associations. Nous avons tous une part des responsabilités afin d’éliminer les gestes disgracieux et diminuer les gestes accidentels. Il va toujours en avoir des accidents. Mais si on inclut dans notre programme un volet sur la sensibilisation sur les mises en échec, les joueurs seront en meilleure posture pour mieux comprendre le but d’une mise en échec; se positionner pour recevoir une mise en échec; comprendre les techniques d’une mise en échec efficace et comprendre les conséquences négatives associées à un tel geste.

La sensibilisation n’est pas quelque chose qui se résume à quelques ateliers ici et là et une fois donné, on peut assumer que le message est passé. C’est quelque chose qui doit être répété continuellement, année après année. Ça doit faire partie des valeurs et de la culture de l’association et des équipes qui la composent.

Une culture où les équipes :

  • Respectent les règles du jeu;
  • Ont un esprit sportif et une éthique sportive exemplaire;
  • N’utilisent pas le double échec pour ralentir l’adversaire;
  • Ne frappent pas intentionnellement un adversaire dans le dos;
  • Évitent de pousser un adversaire par derrière dans la bande;
  • Gardent leurs bâtons bas;
  • Frappent solidement et légalement.

Contrairement à ce joueur de la ligue suisse où sa vie s’est bouleversée en une fraction de seconde, j’ai été un des joueurs chanceux. Heureusement que dans la plupart des cas, c’est ainsi que ça se termine. Mais n’en demeure pas moins que c’est le geste le plus dangereux du hockey et les cultures des associations doivent faire en sorte que ce geste n’est pas toléré, il est tout simplement inacceptable.

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Steve Lauzon
Loz | Hockey
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